Le monde Arabe est intimement associé à
l'époque coloniale française. Il ne faut cependant pas faire l'amalgame entre les vraies sources historiques de la magie arabe et les ouvrages écrits à cette période qui ne représentaient pas forcément des études impartiales s'appuyant sur des faits historiques réels.
En effet, l'aspect littéraire de la magie orientale et de
la mythologie arabe ne doit cependant pas masquer leurs enjeux politiques. La magie appartient en effet à un champ abondamment exploité et exploré par la
propagande coloniale au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle. C'est ce qu'illustre particulièrement la récupération idéologique du lynchage d'Émile Mauchamp en 1907 en faveur de la colonisation française du Maroc à travers son œuvre posthume :
La sorcellerie au Maroc. Cet ouvrage est plus un manifeste colonial qu'une réelle étude scientifique. Le titre de l'ouvrage provient sans doute de son éditeur,
Jules Bois, qui mit en forme les notes prises par Émile Mauchamp. Ce dernier est un médecin français
mort assassiné dans des conditions mystérieuses en 1907 à Marrakech, non loin du dispensaire où il exerçait. Il fut accusé d'appartenir à l'avant-garde d'une tentative d'invasion du Maroc par la France, et ce fut sans doute une des causes de son assassinat, qui survint lorsqu'il fût revenu à Marrakech dans l'intention de s'y installer après avoir reçu plusieurs soutiens, et notamment celui du ministre des affaires étrangères de l'époque alors en séjour à Tanger.
Quoi qu'il en soit, la mort d'Émile Mauchamp marqua profondément les esprits et servit en partie à justifier l'intervention coloniale de la France. Son biographe, Henri Guillemin, en fit un « martyr de la civilisation ». Le seul chapitre alors achevé d'Émile Mauchamp était son introduction, expliquant les raisons « humanitaires » de l'intervention européenne au Maroc. L'intérêt de l'ouvrage pour le sujet de ce site n'est pas dans la qualité de ses informations et de son raisonnement, plutôt médiocre. En effet, son point de vue est conditionné par la nécessité pour lui d'avoir un interprète : la barrière linguistique l'empêche de pouvoir appréhender directement les phénomènes qu'il observe, sans passer par un intermédiaire.
Nous ignorons quelle est la part réelle du discours d'Émile Mauchamp ou les intentions qui motivaient ses prises de notes. Dans tous les cas, le titre lui-même ne révèle pas exactement le contenu de l'ouvrage, dont la première partie traite de la
culture marocaine d'une manière générale : le chapitre premier est sur le mariage ; le deuxième chapitre sur le corps (soins du corps, système pileux, épilation, parfums, tatouages, présages, porte-bonheur, porte-malheur, folklore, rêves) ; le troisième chapitre sur la mendicité, la misère, le vice et la prostitution ; le quatrième chapitre sur la loi, la religion, les sectes et les saints. Seule la seconde partie est consacrée à
la question de la magie et de son intégration dans la société.
Il fut également accusé d'appartenir à une
loge maçonnique et de faire usage de la médecine pour guérir les maladies bénignes des indigènes tout en inoculant un poison entraînant la mort dans les années suivantes. Il se serait ainsi vanté du dépeuplement progressif du pays selon une lettre du 7 janvier 1906 de la main du médecin allemand Holtzmann à l'attention du consul français de Mogador.
C'est un
regard colonialiste radical qui prévaut tant dans l'introduction que dans l’œuvre elle-même. Jules Bois justifie la mise en forme de l'ouvrage à des fins propagandistes avec un vocabulaire d'une extrême violence, concluant que « ce livre, par lequel la déchéanche marocaine éclate aux yeux avec toute sa réelle et sincère hideur, peut hâter le secours moral, qu'il nous convient de porter à ce peuple ». Le point de vue de Jules Bois est donc clair : il s'agit de justifier la « mission civilisatrice » et la colonisation.
C'est en effet par ce biais qu'il relate la fin de la vie d'Émile Mauchamp. Selon lui, il se trouva victime d'un
complot des sorciers qui alors dominaient la ville. Ces figures de sorciers sont bien entendu présentées comme les forces d'opposition à la « mission civilisatrice ». Jules Bois va jusqu'à les présenter comme un pouvoir supérieur encore aux instances sultaniennes.