Ce qui va suivre est l'extrait d'une enquête « Sorcellerie et violence en Afrique » publiée en 2012 par Jacky Bouju et Bruno Martinelli.
Un phénomène moderne : on n'arrête pas le progrès
Cette nouvelle sorte de sorcellerie est un phénomène très moderne et principalement urbain qui a peu de choses en commun avec les formes classiques de la sorcellerie telles qu'elles continuent d'exister dans les zones rurales. Elle transcende le rang et la classe, et n'est le fait d'aucun groupe ethnique en particulier. Les croyants aux enfants-sorciers distinguent ces derniers entre la forme incorporée que ces enfants prennent dans le « premier monde » (ou le monde diurne de la réalité quotidienne), et la forme plus inquiétante qu'ils assument dans le « deuxième monde » des spectres où ils sont capables de donner naissance à d'autres enfants, leur progéniture, qui deviennent aussi des enfants-sorciers traînant dans les rues de Kinshasa. On croit aussi que les enfants-sorciers sont capables de se transformer en serpents « mystiques », en crocodiles ou en sirènes Mami Wata.
L'église des miracles
Il est commun que les accusations de sorcellerie concernant les enfants déclenchent des actes de violence. A la suite des accusations ou de la simple suspicion, les enfants sont souvent sévèrement battus, et dans certains cas extrêmes, ils peuvent même être tués. La plupart du temps, cependant, les enfants suspectés de sorcellerie sont emmenés dans une « Église de réveil », aussi qualifiée d' « église de miracle » par les adultes qui en sont responsables. Là, à l'occasion d'une consultation privée, le pasteur procède à un diagnostic visant à identifier les enfants comme des sorciers possibles. Nombre d'Églises de Kinshasa se sont spécialisées dans l'exorcisme des enfants-sorciers. Il importe de noter, cependant, que dans la plupart des cas, les responsables d'Église eux-mêmes ne sont pas à l'origine des accusations de sorcellerie portées contre les enfants.
Adoptant le rôle qui aurait été auparavant celui de devin, les pasteurs ne font que confirmer (ce qui est une manière de les légitimer) les accusations et les suspicions qui existent déjà dans l'environnement familial ou le voisinage de l'enfant. Ce faisant, ils aident à relocaliser et à reformuler les violences physiques et psychologiques (parfois extrêmes) que les enfants accusés subissent dans leur famille. Leur diagnostic transforme les accusations déjà existantes en un diagnostic officiel et, en proposant l'église comme un espace de « soins » thérapeutique, ils fournissent une solution alternative au problème.
Les techniques de soins thérapeutiques
Pendant cette période, qui peut durer quelques jours, mais parfois aussi des semaines ou des mois, les enfants sont pressés de confesser le nombre de victimes qu'ils ont ensorcelées ou « mangées ». Les morceaux de viande ou d'os non digérés, mais aussi les objets de toutes sortes qui sont retrouvés dans les vomis ou les selles des enfants seront utilisés comme preuves durant leur confession publique devant les membres assemblés de l'église.
Les enfants sont régulièrement soumis à des interrogatoires pendant lesquels, en collaboration avec les responsables de l'église, les enfants vont progressivement construire un récit sur la manière dont ils sont devenus sorciers. Ce récit sera ensuite présenté à la communauté des croyants lors des messes et des rassemblements de prières collectives pendant lesquels les enfants sont poussés à faire des confessions publiques et à révéler leur vraie nature de sorcier.
Le « témoignage »
Photo : Roland Hoskins
A la suite du moment crucial de la confession publique (appelée « témoignage »), la communauté religieuse va s'engager dans des rencontres de prières et des « cures d'âmes » pour dénouer les nœuds qui lient l'enfant aux forces du mal, au diable et à tout ce qui est sensé appartenir au royaume de Satan (et, pour ces Églises, cela inclut tout ce qui participe de la référence aux ancêtres et à la « tradition locale »). L'enfant sera exposé aux prières collectives visant à le soustraire à l'emprise des puissances du mal. Ces réunions de prière qui peuvent s'étaler sur des semaines se tiennent à intervalles régulier pendant la semaine.
Ces formes d'exorcisme ritualisé sont, pour la plupart du temps, dirigées par des femmes membres de l'Église et connues comme « intercesseuses ». L'enfant est placé au milieu d'un cercle de prière tandis que les participants tombent régulièrement dans un état de glossolalie sensé marquer la présence du Saint Esprit. Selon le type d’Église, ces sessions se développent en collaboration avec la mère de l'enfant ou un parent proche, dans l'espoir de faciliter la réintégration de l'enfant-sorcier purifié dans sa famille. Dans de nombreux cas, cependant, les parents ne sont pas très collaboratifs, et une telle réintégration demeure un problème : les parents de l'enfant et les autres membres de la parenté sont encore trop effrayés pour accepter le retour de l'enfant accusé de sorcellerie en leur sein. C'est souvent dans de telles situations, malheureusement trop fréquentes, que les jeunes enfants sont finalement contraints de choisir de rester dans la rue.