L'ouvrage constitue en effet une somme considérable d'informations sur la magie au Moyen Âge, mais il est également à l'origine d'une approche nouvelle en associant la magie et la science dans le cadre de la pensée chrétienne médiévale, plus particulièrement aux XIIe-XIIIe siècles.
Magie et science sont connectées
Dès l'introduction, Lynn Thorndike annonce son idée :
Mon idée est que la magie et la science expérimentale étaient connectées dans leur développement, que les magiciens furent peut-être les premiers à pratiquer l'expérimentation et que l'histoire à la fois de la magie et de la science expérimentale peuvent être mieux comprise en les étudiant ensemble.
Cet ouvrage initia donc la grande tradition des études historiques sur la magie en connexion avec l'histoire des sciences. De ce fait, les études historiques sur la magie en Occident (Antiquité grecque et romaine, Moyen Âge latin) s'inscrivirent majoritairement dans cette perspective de l'histoire des sciences. Cette historiographie échappe donc à la centralité accordée au rapprochement souvent renouvelé entre magie et religion.
La fin de l'esprit colonialiste
La façon dont la magie antique et médiévale est traitée au XIXe et au début du XXe siècle met en relief la vision ethnocentrique de l'approche anthropologique d'alors : l'historicisation du fait magique vise à attester que ces pratiques ont décliné ou disparu en Europe parallèlement au développement de la science, dont l'avènement fut partiellement préparé par les sciences occultes (alchimie, astrologie, etc.). Cette optique rejoint celle des anthropologues de l'époque, qui considéraient la magie comme un obstacle à toute avancée scientifique chez les « primitifs ». L'étude du fait magique se trouva cependant renouvelée avec les processus de décolonisation et avec les débuts de la déconstruction de cet héritage colonial.
Le renouvellement de l'histoire de la magie antique et médiévale
La tradition historique occidentale a perduré dans la voie ouverte par Lynn Thornike en analysant la magie conjointement au développement de la science. Les travaux de Geoffrey Ernest Richard Lloyd pour la Grèce antique permirent à une étude conjointe de la magie et de la science d'affiner notre connaissance des paradigmes d'analyse des ontologies antiques et médiévales. Dans Magic, Reason and Experience, il exposait que « La magie [...] cherche moins à être efficace qu'à être affective, expressive ou symbolique. Pour juger l'action magique, le critère pertinent n'est pas : a-t-elle oui ou non obtenu des résultats pratiques, mais bien : a-t-elle, oui ou non, été accomplie comme il faut ».
Les médecins hippocratiques critiquaient eux-même la magie, non au niveau du résultat mais à celui de la démarche : la médecine – et plus encore dans l'Antiquité – ne peut prétendre à une efficacité systématique. Ainsi, Geoffrey Ernest Richard Lloyd constatait que les attaques contre la magie dans l'Antiquité étaient « mal dirigées » : l'apparent conflit, longtemps présenté comme celui de la lumière de la rationalité contre les ténèbres de la croyance, était avant tout une rivalité entre les tenants de deux disciplines opposées dans leur méthode. L'une correspondait à la discipline « traditionnelle » des guérisseurs des temples et des purificateurs (la médecine était alors l'apanage des prêtres d'Asclépios, le dieu de la médecine) qui usaient des rites religieux prophylactiques fondés pour la plupart sur l'analogie, l'autre était la médecine hippocratique, soucieuse de pratiquer une description rigoureuse du corps humain et, chaque fois que c'était possible, recourir à l'expérience.
Les deux conceptions de la médecine ne s'opposaient réellement que dans des discours visant à attribuer le monopole de la « vraie » médecine à l'une des deux démarches.
Sources :
Extraits de la Thèse La magie islamique et le corpus bunianum au Moyen Âge rédigée par Jean-Charles Coulon pour obtenir le grade de docteur de l'université de Paris IV, La Sorbonne, dans la discipline des études arabes et d'histoire médiévale.