Si tu n'es pas sage, Hans Trapp viendra te chercher !
Dans le nord de l'Alsace, on invoque le Père Fouettard surnommé Hans Trapp pour faire peur aux enfants terribles. Le jour de la Saint-Nicolas, plusieurs villes de la région le font déambuler dans les rues, barbe hirsute, grand sac sur le dos et chaînes raclant le sol. Cette tradition locale est inspirée d'un personnage historique : le seigneur et maréchal Hans von Trotha, qui occupa le château voisin de Berwartstein (Allemagne) entre 1480 et 1503.
Le Château de Berwartstein
Bâtie au sommet d'un rocher, en lisière de la forêt Palatine, la forteresse de Berwartstein était réputée imprenable. Des tunnels creusés dans le roc la reliaient à une tour dénommée « Petite-France », située à trois cents mètres de là, en surplomb, afin d'alimenter des tirs croisés. Les écrits des moines de l’abbaye locale rapportent que von Trotha, un seigneur déchu, vivait retranché dans l’imprenable château et pillait les paysans et rançonnait les voyageurs. Le nord de l’Alsace, le Palatinat et Wissembourg connurent une ère de terreur, de pillages, d’enlèvements et de massacres.
Hans von Trotha
Guerrier tyrannique et sanguinaire, mesurant pas loin de deux mètres de haut, Hans von Trotha semait la terreur dans toute la région. On lui prête différents noms, Axel Biard ou « Père Legendre » en France, Hans von Drodt, Rüpeltz, ou plus vraisemblablement Hans von Trotha, en langue allemande. Un litige l'opposait à l'abbaye de la ville voisine de Wissembourg. En effet, la possession du château et de ses dépendances revenait de droit à l'abbaye. Il est raconté que, pour assiéger la ville, Von Trotha construisit un barrage qu’il laissa se remplir plusieurs semaines, avant d’inonder les rues et les terres de l’abbaye. Celle-ci finit par en appeler au Saint-Siège. Convoqué à Rome, von Trotha se contenta d'écrire au pape Alexandre VI pour lui signifier, en termes à peine voilés, qu'il n'avait pas de leçon à recevoir d'un homme aux mœurs dissolues. Pour sa peine, il fut excommunié et mis au ban de l'empire germanique.
Naissance de la légende du Père Fouettard
Après la mort du chevalier-brigand, sa sinistre réputation en fit une figure légendaire : on raconta longtemps que son âme hantait la forêt à la recherche de proies innocentes. Les habitants traumatisés inventèrent en son souvenir un personnage hirsute et terrifiant, qui allait de foyers en foyers, au soir de Noël pour faire réciter poèmes et prières aux enfants. Les malheureux qui n’y parvenaient pas étaient enlevés et fouettés.
Quant au château de Berwartstein, ravagé en 1591 par un incendie, il a été restauré à la fin du XIX° siècle. C'est aujourd'hui un site touristique où l'on peut notamment admirer une galerie de tableaux évoquant les méfaits du croquemitaine alsacien.
Les raisons culturelles
Dans une culture où le dieu se doit d’être bon et miséricordieux, le Père Fouettard est une icône destinée à cristalliser et à évacuer toute référence négative. Car il me semble que notre morale veut que la récompense (de l’enfant sage) prenne toute sa valeur dans son rapport dialectique à la punition (de l’enfant pas sage). Cela peut sembler dommage, mais on est aussi heureux d’être récompensé parce que d’autres sont lésés ou punis.
D'après Sciences et Avenir Hors Série n°178 Juillet/Août 2014