Les druides - Des philosophes chez les Barbares
Jean-Louis Brunaux (384 pages),
Editions Seuil, 2006.
Jean-Louis Brunaux (384 pages),
Editions Seuil, 2006.
Les légendes celtiques
À la lecture de la bande dessinée Astérix, qui ne s'est jamais demandé quelle part de réalité historique réside dans la figure sévère et cependant sympathique du druide Panoramix ?
On l'y voit généralement préparer une potion magique dans un grand chaudron. Sinon, il passe le plus clair de son temps à cueillir du gui dans les arbres, une serpe d'or à la main. Cette seconde occupation, moins valorisée dans les intrigues que la première, n'est pas sans écho dans notre mémoire, elle ranime en nous de vieux souvenirs scolaires.
Nos manuels scolaires ressurgissent du passé
Surgissent des illustrations désuètes, issues d'anciens manuels d'histoire. Ce sont cette fois des druides plus conventionnels, au milieu de mystérieuses forêts, toujours à la recherche de la plante sacrée, mais qui s'apprêtent à sacrifier deux bœufs parés de bandelettes pour l'occasion. L'image d'Épinal, conçue pour illustrer un passage célèbre de l'encyclopédiste latin Pline l'Ancien, rappelle elle-même des gravures plus anciennes, du XIX' siècle, largement diffusées dans des éditions populaires.
Là, les druides, à l'aspect plus terrifiant, hantant des forêts inquiétantes, s'activent auprès d'un dolmen. À l'évidence, ils vont procéder à un sacrifice humain. On se dit alors qu'on est bien loin du bougon mais sympathique Panoramix. Mais où se trouve donc la vérité ? C’est là que l’auteur s’apprête à nous le dire.
Le découpage de l’ouvrage
L’exposé est divisé en trois parties qui encadrent largement le sujet avant d’en aborder le cœur : le mythe, les origines et enfin les druides dans la société de l’époque. Ces personnages ont en effet alimenté toutes sortes de discours et de légendes, d’autant plus libres et variés que les textes précisant leur vraie nature sont rares et souvent elliptiques.
À certains lecteurs moins férus d'histoire et d'antiquités gréco-romaines, le magicien et sauveur du dernier village gaulois suggérera des figures, plus proches dans le temps mais plus fantastiques encore, tel un Merlin l'Enchanteur et toute sa descendance, revisitée par les médias anglo-saxons, romans, films, films d'animation, etc. Un flot d'images incontrôlées se superposent les unes aux autres pour créer cet objet mal identifié, fuyant dès lors qu'on essaie d'en cerner la personnalité, le druide.
Se méfiant de sa propre mémoire, l'amateur d'histoire sera peut-être tenté de pousser la recherche plus avant. Il consultera dictionnaires et encyclopédies, visitera sur l'Internet les sites habituels pour ce genre de recherche. Il est fort probable que ses efforts ne seront pas récompensés. Tout au moins ne lui procureront-ils pas ce qu'il attend, une information claire et fiable. Il se trouvera, au contraire, confronté à une accumulation de données des plus disparates, souvent contradictoires, sans liens entre elles, issues des approches les plus diverses voire les plus opposées : sources littéraires antiques, archéologie, histoire des religions, comparatisme indo-européen, folklore, ésotérisme, théories nationalistes voire racistes. S'il n'est pas écœuré par une bouillie aussi indigeste et s'il n'est pas découragé par l'ampleur de la tâche, il tentera d'en faire la synthèse. Et c’est là que l’auteur nous apparaît comme un sauveur de l’humanité car il semble qu’il ait rencontré tous ces écueils et qu’il en ait fait la synthèse pour nous. Du moins c’est ce qu’il prétend.
Les druides lui apparaîtront alors comme une caste de prêtres et de mages issus des plus lointains temps indo-européens, qui prospérèrent en Gaule avant que César ne la conquière et ne les fasse momentanément disparaître, qui continuèrent ensuite leur carrière mouvante dans les Iles Britanniques où ils se mêlèrent aux saints chrétiens, rivalisant avec eux de magie et de sorcellerie, et qui, enfin, n'ayant jamais quitté les territoires celtiques auxquels ils paraissent appartenir, comme le paysage ou les langues qu'on y parle, s'y trouvent encore aujourd'hui, à l'abri d'ordres mystiques et folkloriques qui tiennent plus de la secte que de la confrérie spirituelle.
L’auteur nous conduit à travers le dédale des interprétations et filiations successives. Celles-ci vont des présentations partiales qu’en ont déjà faites César et Cicéron, le roman de L’Astrée qui a enchanté le XVIIe siècle, Les Martyrs de Chateaubriand, jusqu’à un celtisme contemporain qui fait flèche de tout bois, ignore délibérément les invraisemblances historiques, au nom d’un mysticisme qui s’appuie sur des robes et des barbes blanches couronnées de gui.
À certains lecteurs moins férus d'histoire et d'antiquités gréco-romaines, le magicien et sauveur du dernier village gaulois suggérera des figures, plus proches dans le temps mais plus fantastiques encore, tel un Merlin l'Enchanteur et toute sa descendance, revisitée par les médias anglo-saxons, romans, films, films d'animation, etc. Un flot d'images incontrôlées se superposent les unes aux autres pour créer cet objet mal identifié, fuyant dès lors qu'on essaie d'en cerner la personnalité, le druide.
Se méfiant de sa propre mémoire, l'amateur d'histoire sera peut-être tenté de pousser la recherche plus avant. Il consultera dictionnaires et encyclopédies, visitera sur l'Internet les sites habituels pour ce genre de recherche. Il est fort probable que ses efforts ne seront pas récompensés. Tout au moins ne lui procureront-ils pas ce qu'il attend, une information claire et fiable. Il se trouvera, au contraire, confronté à une accumulation de données des plus disparates, souvent contradictoires, sans liens entre elles, issues des approches les plus diverses voire les plus opposées : sources littéraires antiques, archéologie, histoire des religions, comparatisme indo-européen, folklore, ésotérisme, théories nationalistes voire racistes. S'il n'est pas écœuré par une bouillie aussi indigeste et s'il n'est pas découragé par l'ampleur de la tâche, il tentera d'en faire la synthèse. Et c’est là que l’auteur nous apparaît comme un sauveur de l’humanité car il semble qu’il ait rencontré tous ces écueils et qu’il en ait fait la synthèse pour nous. Du moins c’est ce qu’il prétend.
Un dédale d’interprétations
Les druides lui apparaîtront alors comme une caste de prêtres et de mages issus des plus lointains temps indo-européens, qui prospérèrent en Gaule avant que César ne la conquière et ne les fasse momentanément disparaître, qui continuèrent ensuite leur carrière mouvante dans les Iles Britanniques où ils se mêlèrent aux saints chrétiens, rivalisant avec eux de magie et de sorcellerie, et qui, enfin, n'ayant jamais quitté les territoires celtiques auxquels ils paraissent appartenir, comme le paysage ou les langues qu'on y parle, s'y trouvent encore aujourd'hui, à l'abri d'ordres mystiques et folkloriques qui tiennent plus de la secte que de la confrérie spirituelle.
L’auteur nous conduit à travers le dédale des interprétations et filiations successives. Celles-ci vont des présentations partiales qu’en ont déjà faites César et Cicéron, le roman de L’Astrée qui a enchanté le XVIIe siècle, Les Martyrs de Chateaubriand, jusqu’à un celtisme contemporain qui fait flèche de tout bois, ignore délibérément les invraisemblances historiques, au nom d’un mysticisme qui s’appuie sur des robes et des barbes blanches couronnées de gui.
Une analyse sérieuse qui met tout à la benne
Bien sûr, une telle pérennité de l'institution druidique, pendant au moins trois mille ans et dans des contextes historiques et sociaux aussi différents, ne résiste à aucune analyse sérieuse, qu'elle soit historique ou anthropologique.
Pourtant, c'est, à quelques nuances près et à l'aide d'un discours évidemment moins brutal, ce dont veulent nous persuader les travaux les plus récents sur la question, dans le domaine français, des tenants du comparatisme indo-européen, et dans le domaine anglo-saxon, des écrivains – pour ne pas les qualifier d'historiens – qui ne cherchent pas à clairement dissocier l'histoire antique, le folklore et l'ésotérisme. Pour les premiers comme pour les seconds le mot druide désigne avec autant de légitimité les Gaulois hors du commun nommés ainsi par leurs contemporains grecs et romains – terme qu'ils utilisaient eux-mêmes pour se désigner –, que les sorciers Irlandais du haut Moyen Âge ou les originaux actuels prétendant conserver et poursuivre une tradition deux fois millénaire. Les analyses de ces comparatistes et mythologues ne sont plus tenables aujourd'hui, en un moment où la société des Gaulois des cinq siècles précédant notre ère est de mieux en mieux connue, où les vestiges de leurs activités religieuses surgissent en masse d'un sol interrogé avec de plus en plus de conscience par les archéologues et révèlent des gestes, des préoccupations plus proches de celles de leurs contemporains grecs et latins que ce que l'on s'est plu à imaginer pendant vingt siècles. Les Gaulois de l'époque de La Tène (de 500 av. J.-C. à la conquête romaine) sont, en effet, aussi éloignés des bâtisseurs de mégalithes de la fin de la période néolithique qu'ils le sont des populations indigènes et fortement mêlées (autochtones, Celtes, Pictes, Saxons) des Iles Britanniques de la fin du premier millénaire de notre ère.
J.-L. Brunaux rejette du coup peut-être un peu vite les travaux de F. Leroux et Ch. Guyonvarc’h, dont les analyses des textes antiques classiques ou des légendes médiévales celtes sont pourtant souvent intéressantes. Il met tout dans le même sac sous prétexte de leur position de principe d’une continuité entre les Gaulois décrits par César et les Celtes irlandais ou gallois, d’un univers septentrional déconnecté de toute influence méditerranéenne, n’est plus garantie par les données archéologiques, et va à l’encontre des thèses que développe ici l’auteur, de son propre chef.
Il s’appuie en effet exclusivement sur les sources grecques et latines, César et Cicéron bien sûr, qui ont rencontré des druides, l’un à Rome, l’autre en Gaule, mais aussi sur Posidonios d’Apamée, philosophe et historien, qui les a inspirés. C’est la référence préférée de J.-L. Brunaux, lui-même ayant cette double formation qui conduit à s’intéresser plus à l’évolution de la société et des mentalités qu’aux événements politiques ponctuels. Il s’appuie donc essentiellement sur des sources sélectionnées selon ses propres intérêts personnels et ses formations universitaires.
Dès le préambule rédigé par l’auteur lui-même on a déjà une vague idée de ce qui nous attend dans la suite de ce livre de 384 pages (beaucoup trop à notre goût). La présence des mots « indo-européen », « théories nationalistes » et « racistes » dans la même phrase nous donne déjà envie de gerber.
La véritable question est bien celle-ci.
Depuis l’Antiquité, les druides suscitent un étrange intérêt et demeurent énigmatiques. S’ils ont eux-mêmes cultivé le mystère, les mythes et les idées reçues ont, durant les deux mille ans qui ont suivi leur disparition, contribué à brouiller encore davantage leur image. Etait-ce des prêtres, des magiciens, des devins, ou bien des philosophes, des maîtres à penser ésotériques. Les fonctions qui leur ont été attribuées sont aussi diverses que contradictoires et l’auteur cherche à en extraire la vérité. Mais à peine arrivé au milieu de son préambule on commence sérieusement à douter qu’il y soit arrivé. On a plus l’impression qu’il s’est un peu perdu dans ses recherches sur Internet qui l’ont emmené on ne sait où. Peut-être devrait-il prendre sa pioche et continuer ses fouilles quelque part en France.
Gaulois, Celtes sont, en effet, des concepts imprécis pour tous ceux qui ne sont pas au fait des derniers progrès de l'archéologie dite protohistorique. La différence entre les deux ethnonymes est mal saisie, du moins l’auteur l’a mal saisie alors que le lecteur a très bien compris la différence depuis bien longtemps. La chronologie la plus élémentaire n'est pas acquise. On confond la civilisation des mégalithes (dolmens et menhirs de l'époque néolithique) et celle des Gaulois (au second âge du fer), etc. Enfin c’est lui qui la confond. Toute présentation des druides doit donc commencer par le rappel clair et précis du cadre chronologique et spatial. Pourtant ce n'est jamais le cas dans les ouvrages qui traitent des druides : au pire, il est oublié ; au mieux, il est relativisé par une prétendue origine lointaine qu'il faudrait chercher dans les derniers temps de la préhistoire et par une descendance, plus suspecte encore, qui se poursuivrait jusqu'à nos jours. C’est à se demander s’il ne va pas commencer à nous parler des illuminati qui seraient les descendants des druides.
La recherche qui est menée dans ce livre prend les tournures d’une véritable enquête « policière » digne des séries télévisées telles que Bones ou Aux Frontières du Réel. On y retrouve même un peu de « Colombo » que les plus jeunes ne connaissent sans doute pas car c’était avant Starsky et Hutch. Toutes les pistes sont ouvertes et tous les indices sont mis à contribution. L’auteur doit remonter aux plus anciennes mentions des druides, quand ils étaient considérés par les Grecs anciens comme des philosophes, pour découvrir leur origine au début du Ier millénaire précédant notre ère. De là, il peut reconstituer leur histoire et celle des représentations dont ils ont fait l’objet jusqu’à nos jours. Il est en train de nous refaire un Game Of Thrones à sa façon.
L’auteur démontre que les druides ont en fait développé leur doctrine et leurs activités dès le Ve siècle avant notre ère. Les similitudes entre leurs idées, celles des Pythagoriciens d’Italie méridionale, voire des présocratiques, ne seraient donc pas fortuites. Ils contrôlent la religion et les grands choix politiques de leur tribu sans se mêler ni des rituels ni des conflits, surtout au Ier siècle avant notre ère, où ils sont, selon cette thèse, déjà en déclin. Leur goût pour le calcul et la philosophie est essentiel.
L’auteur insiste sur la différence entre les druides, d’une part, les bardes et les devins, d’autre part. Ceux-ci sont les acteurs directs des sacrifices et des cérémonies. Sans vraiment le démontrer, J.-L. Brunaux place volontiers ces philosophes à l’ombre de leurs voisins grecs, dont la prééminence est pour lui un postulat.
Cette analyse renouvelle notre vision, rappelle utilement la rareté, mais aussi la précision des sources quand on sait les interpréter, et dégage le sujet de toutes les fantaisies qui l’encombrent, dans la lignée de Nora Chadwick qui avait vainement dégonflé toutes sortes de baudruches dès 1966 (N. K. Chadwick, The Druids, Cardiff et Connecticut, University of Wales Press, 1966, réédité en 1997).
Dans une tradition totalement opposée à celle des auteurs précédents, signalons également un livre de Jean Markale : Druides et chamanes, chez Pygmalion. Le contenu annoncé en quatrième de couverture est significatif : le texte
nous révèle de précieux itinéraires qui réjouiront tous ceux qui recherchent avec passion la connaissance des mystères du monde.
C’est sans doute beaucoup plus intéressant à lire que le livre de monsieur Brunaux. Désolé.
D’après Olivier Büchsenschutz, chercheur au CNRS et professeur d’Archéologie d'Orient
et d'Occident, École normale supérieure
Pourtant, c'est, à quelques nuances près et à l'aide d'un discours évidemment moins brutal, ce dont veulent nous persuader les travaux les plus récents sur la question, dans le domaine français, des tenants du comparatisme indo-européen, et dans le domaine anglo-saxon, des écrivains – pour ne pas les qualifier d'historiens – qui ne cherchent pas à clairement dissocier l'histoire antique, le folklore et l'ésotérisme. Pour les premiers comme pour les seconds le mot druide désigne avec autant de légitimité les Gaulois hors du commun nommés ainsi par leurs contemporains grecs et romains – terme qu'ils utilisaient eux-mêmes pour se désigner –, que les sorciers Irlandais du haut Moyen Âge ou les originaux actuels prétendant conserver et poursuivre une tradition deux fois millénaire. Les analyses de ces comparatistes et mythologues ne sont plus tenables aujourd'hui, en un moment où la société des Gaulois des cinq siècles précédant notre ère est de mieux en mieux connue, où les vestiges de leurs activités religieuses surgissent en masse d'un sol interrogé avec de plus en plus de conscience par les archéologues et révèlent des gestes, des préoccupations plus proches de celles de leurs contemporains grecs et latins que ce que l'on s'est plu à imaginer pendant vingt siècles. Les Gaulois de l'époque de La Tène (de 500 av. J.-C. à la conquête romaine) sont, en effet, aussi éloignés des bâtisseurs de mégalithes de la fin de la période néolithique qu'ils le sont des populations indigènes et fortement mêlées (autochtones, Celtes, Pictes, Saxons) des Iles Britanniques de la fin du premier millénaire de notre ère.
Des thèses personnelles qu’il partage avec lui-même
J.-L. Brunaux rejette du coup peut-être un peu vite les travaux de F. Leroux et Ch. Guyonvarc’h, dont les analyses des textes antiques classiques ou des légendes médiévales celtes sont pourtant souvent intéressantes. Il met tout dans le même sac sous prétexte de leur position de principe d’une continuité entre les Gaulois décrits par César et les Celtes irlandais ou gallois, d’un univers septentrional déconnecté de toute influence méditerranéenne, n’est plus garantie par les données archéologiques, et va à l’encontre des thèses que développe ici l’auteur, de son propre chef.
Il s’appuie en effet exclusivement sur les sources grecques et latines, César et Cicéron bien sûr, qui ont rencontré des druides, l’un à Rome, l’autre en Gaule, mais aussi sur Posidonios d’Apamée, philosophe et historien, qui les a inspirés. C’est la référence préférée de J.-L. Brunaux, lui-même ayant cette double formation qui conduit à s’intéresser plus à l’évolution de la société et des mentalités qu’aux événements politiques ponctuels. Il s’appuie donc essentiellement sur des sources sélectionnées selon ses propres intérêts personnels et ses formations universitaires.
Dès le préambule rédigé par l’auteur lui-même on a déjà une vague idée de ce qui nous attend dans la suite de ce livre de 384 pages (beaucoup trop à notre goût). La présence des mots « indo-européen », « théories nationalistes » et « racistes » dans la même phrase nous donne déjà envie de gerber.
Qui sont les druides ?
La véritable question est bien celle-ci.
Depuis l’Antiquité, les druides suscitent un étrange intérêt et demeurent énigmatiques. S’ils ont eux-mêmes cultivé le mystère, les mythes et les idées reçues ont, durant les deux mille ans qui ont suivi leur disparition, contribué à brouiller encore davantage leur image. Etait-ce des prêtres, des magiciens, des devins, ou bien des philosophes, des maîtres à penser ésotériques. Les fonctions qui leur ont été attribuées sont aussi diverses que contradictoires et l’auteur cherche à en extraire la vérité. Mais à peine arrivé au milieu de son préambule on commence sérieusement à douter qu’il y soit arrivé. On a plus l’impression qu’il s’est un peu perdu dans ses recherches sur Internet qui l’ont emmené on ne sait où. Peut-être devrait-il prendre sa pioche et continuer ses fouilles quelque part en France.
Gaulois, Celtes… : des concepts ambigus pour l’auteur
Gaulois, Celtes sont, en effet, des concepts imprécis pour tous ceux qui ne sont pas au fait des derniers progrès de l'archéologie dite protohistorique. La différence entre les deux ethnonymes est mal saisie, du moins l’auteur l’a mal saisie alors que le lecteur a très bien compris la différence depuis bien longtemps. La chronologie la plus élémentaire n'est pas acquise. On confond la civilisation des mégalithes (dolmens et menhirs de l'époque néolithique) et celle des Gaulois (au second âge du fer), etc. Enfin c’est lui qui la confond. Toute présentation des druides doit donc commencer par le rappel clair et précis du cadre chronologique et spatial. Pourtant ce n'est jamais le cas dans les ouvrages qui traitent des druides : au pire, il est oublié ; au mieux, il est relativisé par une prétendue origine lointaine qu'il faudrait chercher dans les derniers temps de la préhistoire et par une descendance, plus suspecte encore, qui se poursuivrait jusqu'à nos jours. C’est à se demander s’il ne va pas commencer à nous parler des illuminati qui seraient les descendants des druides.
Une enquête policière : il regarde trop les films
La recherche qui est menée dans ce livre prend les tournures d’une véritable enquête « policière » digne des séries télévisées telles que Bones ou Aux Frontières du Réel. On y retrouve même un peu de « Colombo » que les plus jeunes ne connaissent sans doute pas car c’était avant Starsky et Hutch. Toutes les pistes sont ouvertes et tous les indices sont mis à contribution. L’auteur doit remonter aux plus anciennes mentions des druides, quand ils étaient considérés par les Grecs anciens comme des philosophes, pour découvrir leur origine au début du Ier millénaire précédant notre ère. De là, il peut reconstituer leur histoire et celle des représentations dont ils ont fait l’objet jusqu’à nos jours. Il est en train de nous refaire un Game Of Thrones à sa façon.
Une doctrine druidique
L’auteur démontre que les druides ont en fait développé leur doctrine et leurs activités dès le Ve siècle avant notre ère. Les similitudes entre leurs idées, celles des Pythagoriciens d’Italie méridionale, voire des présocratiques, ne seraient donc pas fortuites. Ils contrôlent la religion et les grands choix politiques de leur tribu sans se mêler ni des rituels ni des conflits, surtout au Ier siècle avant notre ère, où ils sont, selon cette thèse, déjà en déclin. Leur goût pour le calcul et la philosophie est essentiel.
L’auteur insiste sur la différence entre les druides, d’une part, les bardes et les devins, d’autre part. Ceux-ci sont les acteurs directs des sacrifices et des cérémonies. Sans vraiment le démontrer, J.-L. Brunaux place volontiers ces philosophes à l’ombre de leurs voisins grecs, dont la prééminence est pour lui un postulat.
Cette analyse renouvelle notre vision, rappelle utilement la rareté, mais aussi la précision des sources quand on sait les interpréter, et dégage le sujet de toutes les fantaisies qui l’encombrent, dans la lignée de Nora Chadwick qui avait vainement dégonflé toutes sortes de baudruches dès 1966 (N. K. Chadwick, The Druids, Cardiff et Connecticut, University of Wales Press, 1966, réédité en 1997).
Dans une tradition totalement opposée à celle des auteurs précédents, signalons également un livre de Jean Markale : Druides et chamanes, chez Pygmalion. Le contenu annoncé en quatrième de couverture est significatif : le texte
nous révèle de précieux itinéraires qui réjouiront tous ceux qui recherchent avec passion la connaissance des mystères du monde.
C’est sans doute beaucoup plus intéressant à lire que le livre de monsieur Brunaux. Désolé.
D’après Olivier Büchsenschutz, chercheur au CNRS et professeur d’Archéologie d'Orient
et d'Occident, École normale supérieure